Détenue pendant deux mois par Daesh, Sara a réussi à s’enfuir.
HABER0
Détenue pendant deux mois par Daesh, Sara a réussi à s’enfuir. Son témoignage est effroyable. Elle était de passage à Paris, nous l’avons rencontrée.
Quel âge a-t-elle Sara (*) ? 29, 32 ou 38 ans ? Difficile de le savoir : les Yézidis ne tiennent pas de registre de naissance. Elle pense qu’elle est née un jour de printemps de 1986. Mais son visage sans sourire marque déjà la souffrance et la peur. Daech s’est infiltré dans ses traits. Dans le deuil qu’elle porte dans sa longue robe sombre. Dans ses cauchemars aussi. D’"eux", elle dit :
Ils ne sont pas des humains ni même des animaux, car même les animaux arrivent à se rassasier au bout d’un moment."
Les hommes en noir ont débarqué le 3 août 2014 dans son village prospère de Kocho, dans la province irakienne de Ninive, aux confins du Kurdistan autonome et des frontières syriennes, turques et iraniennes. Pourquoi la famille de Sara n’a-t-elle pas fui, à l’aube, comme des milliers de Chrétiens et de Yézidis, pour rejoindre Dohuk, dans le Kurdistan autonome irakien ? Son père, un membre influent de la communauté, avait décidé de faire confiance aux chefs des tribus arabes sunnites voisines, avec qui le village entretenait depuis des années de bonnes relations.
Et, même si les Yézidis sont considérés par beaucoup de musulmans comme des adorateurs du diable, ici, dans les montagnes sacrées, on a pour coutume de donner un parrain arabe aux bébés yézidis pour garder des liens entre les deux communautés.
Mon père croyait que ses relations, qui servaient d’intermédiaire avec Daech, suffiraient à nous protéger."
Et pourquoi céder à la peur ? Dans l’école de Kocho, 70 vaillants courageux combattants peshmergas kurdes veillent, envoyés en renfort après la chute de Tal Afar.
LE TRI
Alors, cette nuit, quand Sara et ses sœurs entendent les coups de feu des combattants de Daech, elles n’ont pas d’autre choix que d’assister, impuissantes, à la fuite des peshmergas et de la moitié de leur village, enchaînées à l’optimisme de leur père. A bord d’un pick-up et d’une jeep, elles les regardent parader, le visage cagoulé, agitant un drapeau noir. Ils portent un large pantalon et une tunique courte qui leur tombe au genou. Malgré la peur, l’une des sœurs a eu le courage de pouffer : "On dirait qu’ils sont en minijupes."
Après, cela, Sara, ses six frères et sœurs, ses parents et ses oncles n’ont plus jamais ri. Tous les villageois sont convoqués à l’école avec leurs objets précieux et leur carte d’identité. Les hommes de Daech leur ont promis qu’en échange, ils les laisseraient partir sain et sauf dans la montagne. Une fois réunis, les hommes armés font un tri : les pères sont chargés dans un convoi, les femmes et les enfants dans un autre. Plus loin, un autre village, un autre tri : les jeunes filles sont séparées des mères, puis c’est au tour des petits garçons…
Sara n’est pas mariée. Avec désespoir, elle voit partir son père, puis sa mère et ses jambes malades et ses jeunes frères et sœurs.Elle écrit :
Le soir où ils ont pris les fils à leurs mères, les femmes étaient comme des louves qui hurlaient à la mort. […] Ils ne disaient pas où ils emmenaient les enfants."
Dans un élan de survie, elle décide de se faire passer pour la mère d’un des garçonnets de sa sœur, échappant ainsi à la destinée de sa petite sœur vendue comme esclave sexuelle. Un énième convoi de bus démarre. Le système est très organisé. Destination Tal Afar cette fois.
EMMENÉES DE FORCE
Une autre école, déjà pleine à craquer de femmes, assises en tailleur côte à côte, des enfants sur les genoux. L’odeur est terrible : sueurs, urine, les toilettes sont bouchées et les couches sales des bébés servent d’oreillers. Une autre attente, interminable, commence, sans eau potable et quasiment rien à manger.
Tous les petits hurlaient de faim et de soif, j’ai vu une mère, de désespoir, frapper la tête de son enfant de quatre ans contre un mur parce qu’il pleurait depuis des heures."
Le lendemain, un amir (chef) vient "faire son marché". Il choisit quelques femmes qu’il juge les plus attirantes. Rebelote le lendemain. Pour assagir la foule, les hommes de Daech ont mis des somnifères dans l’eau croupie qu’ils distribuent. Les enfants dorment, drogués et abrutis par la faim, déjà abimés par la teigne et l’absence d’hygiène. Les femmes, elles, luttent à leur manière : en s’enlaidissant le plus possible.
Nous ne nous lavons pas depuis des jours, nos cheveux sont gras, nous nous ébouriffons les mèches les unes les autres pour ressembler à des sorcières."
La nuit, Sara parvient à passer quelques coups de fil dans les toilettes, avec son téléphone qu’elle a réussi à dissimuler aux yeux des geôliers.
Le lendemain, les femmes qui n’ont pas encore été « choisies » sont emmenées dans un village abandonné où elles s’installent dans une maison en ruines. Mais le répit est de courte durée. Pendant la sieste ou au milieu de la nuit, jour après jour, les hommes en noir reviennent, démolissent les verrous des portes, arrachent les jeunes femmes par les cheveux et frappent à coups de barres de fer celles qui résistent. Sa sœur Nadia est emmenée, sa petite cousine âgée de dix ans à peine, aussi.
LA FUITE
Sara parvient à prévenir son frère aîné Azad, le seul à avoir échappé aux griffes de Daech car il travaillait dans une région du Kurdistan autonome. Le soir même, Sara prend la décision de fuir. Elle contacte un membre des milices yézidies du Sinjar qui combattent l’Etat islamique et aident les prisonniers à s’échapper. Quand la nuit tombe, elle découpe à la cisaille les barbelés du camp et la petite troupe se met en route : huit femmes et huit enfants à porter, sans pouvoir s’arrêter, toute la nuit durant.
Quand le jour se lève, le groupe s’est perdu. Pour éviter les patrouilles, elles doivent à nouveau se cacher dans la nature sous une pluie diluvienne. Le soir venu, guidées par les passeurs, elles entament une nouvelle marche à travers la montagne. Epuisée, les pieds en sang, Sara s’arrête à bout de force, avec sa sœur et sa belle-sœur. Les passeurs ne les attendent pas. Elles seront finalement sauvées par les milices et parviendront à rejoindre le Kurdistan libre.
Aujourd’hui, Sara vit en Allemagne depuis deux mois avec sa petite sœur Yasmine, sa belle-sœur, son oncle et leurs enfants. A ce jour, elle est sans nouvelle du reste de sa famille. Mais elle sait. Elle sait que les hommes ont été emmenés à l’écart, le tout premier jour, abattus comme des bêtes et qu’elle ne reverra jamais ni son père ni ses quatre frères, qui gisent dans une fosse commune à côté de leur village. Elle sait aussi le destin des jeunes garçons, islamisés, embrigadés de force et utilisés comme chair à canon par les combattants. Elle sait le calvaire de sa sœur Yasmine, 17 ans, la petite chouchoute de la famille qui rêvait d’être ingénieure, vendue et revendue pendant dix mois comme esclave sexuelle en Irak puis en Syrie. Trahie, trompée, battue, elle a pourtant réussi à s’évader, à la quatrième tentative.
Quand elles livrent leur récit, elles ne prononcent jamais le mot de viol, mais on comprend. Elle disent :
La seule chose que l’on demande aux grandes puissances, c’est de nous ramener nos sœurs et nos enfants toujours détenus par Daech."
Il y a un an, l’ONU a accusé l’Etat Islamique de tentative de génocide des yézidis en Irak. Mais pour l’heure, rien ne se passe : 2 à 3 milles Yézidis sont toujours détenus par Daech et 800.000 réfugiés s’entassent dans des tentes à Dohuk, sans savoir s’ils pourront un jour rentrer chez eux.
Marie Vaton
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