Erdogan ou le Chaos ?
HABER0
Les attaques se multiplient contre l'opposition, les Kurdes et les médias. Une violence qui met en danger le processus électoral avant les législatives de novembre.
Mardi soir, pour la deuxième fois depuis dimanche, le quotidien turc "Hurryiet" a été assailli par des manifestants nationalistes et islamistes, qui ont caillassé les vitres et détruit la réception, lui reprochant de critiquer le pouvoir en place. Quotidien libéral, Hurriyet est la cible du parti islamo-conservateur au pouvoir AKP (Parti de la justice et du développement) depuis des années. Mardi, le président Recep Tayyip Erdogan l'avait à nouveau violemment dénoncé, alors que le journal avait déjà été victime d’une première attaque dimanche.
La presse n'est pas la seule cible des partisans de l'AKP, qui ont également pris pour cible le parti kurde HDP (Parti de la démocratie des peuples). Principale force d’opposition avec 80 sièges au parlement, le HDP a vu plus de 300 de ses bureaux saccagés dans tout le pays depuis lundi, comme ci-dessous son siège à Ankara, incendié par des manifestants.
Si le pouvoir appelle officiellement au calme et a condamné la violence contre le parti d’opposition, sa rhétorique guerrière fait craindre le basculement dans une véritable guerre civile.
OFFENSIVE GÉNÉRALE
Depuis fin juillet, la Turquie et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) ont mis fin à la trêve qui durait depuis 2012. Tout en lançant une campagne contre l'Etat islamique, les bombardements de l'Etat turc contre les rebelles kurdes ont repris. Dans un cycle de violence infernal, le PKK multiplie les attentats visant des policiers et des militaires. Depuis le début de la semaine, au moins trente d’entre eux ont été tués dans le sud-est du pays, à majorité kurde.
Cette offensive contre les kurdes s’accompagne d’un durcissement de la censure contre les médias qui traitent du sujet. Trois journalistes de Vice News présents à Diyarbakir dans le sud-est, ont été arrêtés alors qu’ils travaillaient dans la région, et accusés de terrorisme. Deux d’entre eux, les Britanniques Jake Hanrahan et Philip Pendlebury ont depuis été libérés, mais leur collègue Mohammed Ismael Rasool est lui toujours détenu. La journaliste néerlandaise Frederike Geerdink , qui travaille dans la région depuis des années, a été elle aussi arrêtée et expulsée du pays.
LE SIÈGE DE CIZRE
La ville de Cizre, près de la frontière syrienne et où ont eu lieu des affrontements entre les rebelles kurdes et le pouvoir, est emblématique de cette répression. Encerclée par l’armée depuis six jours, elles est privée d’électricité et les communications sont coupées. Selon les rares témoignages disponibles, l’eau et la nourriture commenceraient à manquer.
D’après le journaliste français Matthieu Delmas, présent sur place, au moins 20 personnes auraient été tuées dans des affrontements hier, sans que l’on ait pour le moment plus de précision sur leur identité.
Une délégation de l’HDP a tenté mardi de rejoindre la ville à pied afin de protester contre le siège de Cizre, avec à leur tête Selahaddin Demirtas, le coprésident du parti. Mais elle a été bloquée par la police avant d'atteindre la ville.
LE PARI D'ERDOGAN
Dimanche dernier, interrogé sur les violences qui se déroulent en Turquie, le président Erdogan en a rejeté la responsabilité sur la défaite de son parti aux dernières législatives. Manière de peser sur son électorat à deux mois du nouveau scrutin organisé.
Si un parti avait obtenu 400 sièges aux élections et atteint le nombre requis au Parlement pour changer la Constitution, la situation serait différente", avait déclaré Tayyip Erdogan.
En juin, l’AKP avait pour la première fois perdu sa majorité. Le parti kurde HDP avait profité du rejet de l’autoritarisme du président pour faire une percée au sein du parlement, empêchant le parti d'Erdogan de construire une coalition pour gouverner. En l'absence d'une majorité gouvernementale, de nouvelles élections doivent donc se tenir le 1er novembre.
D'ici là, la stratégie d'Erdogan semble être de relancer le conflit kurde pour mobiliser ses soutiens nationalistes. Pour l'instant, les sondages ne semblent pas donner raison à ce pari du régime turc. Non seulement le parti AKP ne progresse pas, mais l’HDP pourrait même enregistrer des scores supérieurs à ceux de juin. Alors que la livre turque s'effondre et que le pays accueille des millions de réfugiés syriens, il en faudrait peu pour que la situation devienne totalement incontrôlable pour le pouvoir.
İlginizi Çekebilir