Les réflexions sur le réchauffement climatique, les marches pour le climat, les partis écolos qui augmentent en Europe témoignent du changement des représentations de la nouvelle génération quant à la perception de l’environnement et du changement climatique. En revanche, en face de cela, des théories du complot émergent, de la même sorte que pour la pandémie COVID-19, et le nombre de climatosceptiques croît d’une manière considérable. Tout au long de l’histoire, les scientifiques, par l’usage de la pensée critique, purent combattre les dogmes imposés par l’Eglise et promouvoir la science. Ainsi la question suivante mérite d’être posée: “La pensée critique est-elle suffisante face aux climatosceptiques”. Je m’efforcerai de répondre à cette question en définissant d’une part ce qu’est la pensée critique pour ensuite analyser le discours des climatosceptiques et enfin répondre à la problématique en explicitant l’utilité de la pensée critique pour faire face aux théories climatosceptiques.
La pensée critique est le fondement de l’éducation libérale est promue depuis les
philosophes grecs de l’Antiquité. “Penser, c’est exercer son intelligence à propos de différents problèmes posés quels qu’ils soient” dit Guy HAARSCHER, durant son cours “développer sa pensée critique”. Il ne faut point se hâter d’avoir un avis et d’en émettre. La pensée critique demande de la patience, repose sur le doute, sur des hypothèses qui doivent être vérifiées, sur des faits et non sur des croyances. Galilée, le mathématicien, physicien et astronome, avait par exemple la certitude que la Terre est au centre de l’univers et ainsi toutes ses expériences et calculs se basent sur la vérification de cette vérité et non d’une hypothèse.
C’est ainsi qu’il serait pertinent d’analyser le discours des climatosceptiques pour ensuite examiner si la pensée critique est suffisante pour contrer ces derniers.
Dans plusieurs pays comme la France, les États-Unis et le Royaume-Uni, des vagues
médiatiques climato-sceptiques se sont multipliées. Pour commencer, focalisons-nous de plus près au climato-scepticisme développé en France à la suite de l’élection de Sarkozy. Des scientifiques qui sont minoritaires mais qui ont une vision climato-sceptique ont eu tout autant droit à la parole comme Claude Allègre. La présidente du Journal du CNRS imposa de donner la parole égale aux climato-sceptiques et autres scientifiques. (Godard, O. 2012) La conséquence de cette médiatisation du climato-scepticisme a été qualifiée par Fellous et al. (2010)comme étant “plus un débat scientifique mais une bataille pour la fabrique de l’opinion publique”. En effet, ici, nous constatons que la science est mobilisée au service d’intérêts politiques, stratégiques, économiques, etc. Godard, O. (2012) constate que le soupçon envers les énoncés scientifiques surgit et en particulier contre celles pointant une alerte écologique. D’ailleurs, nous pouvons réaliser un parallélisme avec le complotisme et prolifération d’informations fausses ou douteuses liées au Covid-19 qui viennent tout autant être une menace contre la démocratie, la raison et surtout la pensée critique, comme l’a montré l’article “L'érosion de la démocratie par la complotisme” de l’IRIS.
La pensée critique consiste à analyser des faits avant d’arriver à une conclusion ou de porter un jugement. La pensée critique se base sur des démarches de doute, de scepticisme scientifique. La pensée critique est amplement liée à la raison. La pensée critique ne peut s’exercer quand il y a jugement hâtif.
Il faut dès lors une activité de recherche, émettre des hypothèses et vérifier par des faits observés.
Quand nous analysons les concentrations de gaz à effet de serre au cours de
l’histoire, elles ont été quasiment stables durant les derniers millénaires. En revanche, elles ont augmenté de façon exponentielle après la révolution industrielle. C’était la première démarche scientifique: l’observation au cours de l’histoire de l’évolution des gaz à effet de serre, comme le dioxyde de carbone, l’oxyde d’azote et le méthane.
La deuxième étape consiste à vérifier par une démarche scientifique si ces concentrations de gaz à effet de serre (GES) sont dues à des activités anthropiques, c’est-à-dire dues à l’activité humaine. Quand nous observons la répartition géographique des concentrations, celle-ci met en évidence que les sources de gaz à effet de serre se trouvent principalement au-dessus des zones très peuplées de l'hémisphère Nord. (W.Collins, et al. 2007) Par ailleurs, l'analyse isotopique des GES, qui distingue les différentes sources d'émissions, montre que la plus grande partie du dioxyde de carbone émis est d'origine fossile et qu’elle provient de l’activité humaine (les usines, le transport, la compustion de pétrole, de charbon, etc.)
Il est facile d’observer la conséquence directe de cette hausse de concentrations. Un réchauffement climatique s’oppère en corrélation avec celle-ci et a pour autre conséquence par exemple la fonte des calottes polaires, au Groenland et en Antarctique, au cours des dernières décennies. Pour arriver à cette conclusion, les climatologues ont dû faire des recherches quant à l'effet de l'augmentation de la concentration de chacun des gaz à effet de serre. Ils ont calculé le forçage radiatif que le gaz induit.
Pour montrer que le réchauffement climatique est dû à des causes humaines, les climatologues se sont donc basés sur des faits et des phénomènes observables (1) la hausse de la concentration des GES surtout due aux activités d’origine anthropique là où les concentrations de populations sont importantes et (2) la corrélation entre la hausse de la concentration en GES et la hausse de la température globale de la Terre.
Les scientifiques, ici, ont pu librement examiner les problèmes sans une autorité extérieure qui exerçait une pression ou qui imposait de décrire ou d’exprimer le monde d’une certaine manière. Haarscher, G., philosophe à l’Université libre de Bruxelles, a bien montré que la liberté est importante et essentielle dans la pensée critique pour examiner les problèmes et aborder la réalité de façon critique. D’ailleurs il dit qu’ “si une autorité extérieure impose de décrire et d'expliquer le monde d'une certaine manière, il n'est pas possible de penser et de la critiquer”.
Pourtant, Godard, O. (2012), économiste français, démontra dans sa recherche que les climatosceptiques mêlent arguments d’allure scientifiques aux arguments sociopolitiques et économiques.
Le livre de Zaccai, E. et al. (2012) analysa les recherches de Naomi Oreskes qui démontra que derrières les discours climato-sceptiques se cachent des motivations politiques.
Dès lors, il n’est pas compliqué de constater que le lobbying économique et politique exerce une pression et cette autorité extérieure influence soit directement soit indirectement les analyses pour que la conclusion ne soit d’autre que réfuter la majorité des scientifiques affirmant que le réchauffement climatique est d’origine anthropique. En effet, le climato-scepticisme trouve son origine dans le lobby pétrolier. (Mazzucchi, N. 2013) Des liens étroits furent constatés entre le camp Républicain aux États-Unis et les pétroliers qui financent des théories climato-sceptiques. À titre d’exemple, l’American Petroleum Institute finança des recherches climatosceptiques remettant en question les conclusions du GIEC, Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat. (Mazzucchi, N. 2013) Uscinski, J. E. et al. (2017) dirent que “le rejet du consensus scientifique sur l’origine humaine du changement climatique est souvent le résultat d’un raisonnement conspirationniste plutôt que d’une évaluation attentive des preuves scientifiques.” Comment pouvons-nous exercer une pensée critique si, dès le début de la recherche, nous essayons de prouver une conviction et de réfuter obligatoirement d’autres théories. Il faut par conséquent ne point répondre à un argument d’autorité et ne point laisser ses valeurs influencer notre analyse d’un fait scientifique. Poincaré avait bien dit que “la pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à un intérêt”. Lutze, L. et al. (2019) constatèrent qu'un manque général de pensée critique est responsable de la croyance aux théories climatosceptiques. Les résultats de leur recherche pointent la nécessité de la “critical thinking” pour faire face aux fake news liées au réchauffement climatique.
En guise de conclusion, la pensée critique ne doit se soumettre qu’aux faits dit Haarscher, G. Dans le contexte du réchauffement climatique, en excluant toutes théories religieuses, dogmes économiques et intérêts politiques, et en se basant sur les faits scientifiques -bien distingués des valeurs- observés, nul ne peut contester la corrélation entre la hausse de la concentration de GES et le réchauffement climatique. Lorsque nous nous libérons des théories circulées par certains lobbies, nous nous soumettons à la raison grâce à la pensée critique. La pensée critique suppose qu’il n y a pas d’autorité supérieure. Face aux théories sur le réchauffement climatique, la plupart des climatologues ont proposé leurs thèses qui étaient le résultat de faits observés et il y a eu un consensus final repris par le GIEC. De ce fait, le seul moyen d’analyser le réchauffement climatique est de se libérer de l’argument d’autorité, libérer sa pensée, prendre connaissance et analyser des faits observés et avérés. La pensée critique est par conséquent suffisante face aux climatosceptiques et les théories du complot quand elle est pleinement appliquée.
Bibliographie:
Articles:
E, Zaccai, “ Les composantes du climato-scepticisme” Courrier de la planète,(93), 2011.
Huyghe, F-B., N. Mazzucchi, A. Bristielle, O. Klein, K. Nera, C. Arnal, “Méfiance et crédulité des foules: le virus du faux. L’érosion de la démocratie par le complotisme”, Institut de relations internationales et stratégiques, février 2021.
J.-L. Fellous, J.-C. Hourcade, S. Joussaume, O. Godard, C. Gautier et S. Hallegatte, « Un étonnant effet collatéral du changement climatique », Le Monde.fr, 6 avril 2010.
Lauren Lutzke, Caitlin Drummond, Paul Slovic, Joseph Árvai, “Priming critical thinking: Simple interventions limit the influence of fake news about climate change on Facebook”, Global Environmental Change, Volume 58, 2019, 101964, ISSN 0959-3780.
Mazzucchi, Nicolas. « Le climat, enjeu de puissance internationale », Géoéconomie, vol. 67, no. 4, 2013, pp. 75-92.
- Godard, « Le climato-scepticisme médiatique en France : un sophisme moderne», Écologie & politique, 2012/2 (N° 45), p. 47-69.
- Vaughter, “Climate Change Education: from critical thinking to critical action”, Policybrief, United Nations Universty, Institut for the advanced study of sustainability n°4, 2016.
J. E, Uscinski,., K. Douglas, & S. Lewandowsky, “ Climate Change Conspiracy Theories.” Oxford Encyclopedia of Climate Change., 2017. doi:10.1093/ acrefore/9780190228620.013.328
S, Lewandowsky, et J, Cook,. “Le Manuel de la Théorie du Complot”, 2020. Disponible sur
W.Collins, R.Colleman, J.Haywood, M.Manning, Ph.Mote, “Réchauffement climatique : le temps des certitudes”, pour la Science n°360, Octobre 2007.
Livre:
Edwin Zaccai, François Gemenne, Jean-Michel Decroly (Dir.), Controverses climatiques, sciences et politique. Presses de Sciences Po, Paris, 2012, 254 pages
Cours:
Notes prises dans le cours TRAN-U001, Université libre de Bruxelles, Bruxelles, 14 avril 2021. Notes prises dans le cours ENVI-F1001, Université libre de Bruxelles, Bruxelles, 14 avril 2021.