LE LOUP GRIS, symbole des Turcs depuis deux millénaires
Derya Soysal, spécialiste de l’histoire des Turcs et du monde turc d’Asie centrale
Le loup, ou loup-gris, est le symbole national des Turcs depuis plus de deux millénaires. Ce symbole a une charge sacralité dans la mémoire historique des Turcs (Balcı & Özkul, 2021).
Le symbole du loup-gris est un héritage de la culture turque, mais aussi des Mongols, des épopées turques jusqu'à nos jours. D’ailleurs, Charlier (2013), écrit là-dessus, “Considéré comme le chien du ciel divin, tengerijn nohoj, mais aussi comme l’ancêtre mythique du grand Gengis khan (Even et Pop 1994), il est prisé pour son endurance, son intelligence et sa débrouillardise”.
A l’origine, le Loup Gris est un symbole hérité de la mythologie turque. Depuis l'époque archaïque, les communautés qui partagent des épopées sur la guidance du loup sont les "Turcs d'Asie centrale".
Bozdemir, M. (2018, December) écrit “Dans les croyances des peuples turcophones qui constituent, c’est bien connu, plusieurs dizaines de branches (Ouïghour, Kazakh, Kirghiz, Turkmène, Ouzbek, Azéri, Yakoute en Sibérie et bien sûr les Turcs de Turquie, pour s’en tenir aux plus connues), le loup (Kurt) ou le loup gris (Bozkurt), remplit une fonction existentielle, à savoir celle d’ancêtre et de guide du peuple dans des moments de péril majeur”.
Ögel (1998 : 40), qui analyse la mythologie turque, affirme que "le symbole le plus important de la mythologie turque" est le "loup". Ajoutons que la mère des Turcs, dans la mythologie turque, est Asena, la louve.
Pour évoquer la divinité du loup dans les épopées, il est important de mentionner Ziya Gökalp, le premier sociologue turc connu pour ses études ethnologiques sur la turcité. L'épopée du loup Hue-Hu (Hyung-nu), dans l'œuvre de Gökalp, fournit un exemple du motif du loup construit dans l'imaginaire divin.
Rappelons que la déification des ancêtres n'est pas propre aux Turcs et est importante en termes d'utilisation de la fonction de légitimation des rois, des sultans, des royaumes et de la religion (Ünal, 1994 : 28).
Outre cela, Deliorman (2009 : 41), se référant au rôle transcendantal du loup, mentionne que le loup ancêtre dans les croyances dérivées des Ouïghours est la croyance en un Dieu déguisé en loup. Selon Esin, "d'après un document daté d'environ 756 av. J.-C., le drapeau à tête "Böri" du Khan ouïgour, l'une des tribus "T'ie-lê", était vénéré lors d'une cérémonie" (cité dans Esin, 1980, p. 422). Le fait que le Loup “Bozkurt” soit un "ancêtre divin", un guide médiateur de l'aide divine, un assistant (Hızır) dans les moments de détresse et un enseignant prodiguant des conseils militaires coïncide avec la période des Huns (220 av. J.-C. - 220 apr. J.-C.)
Dans l'épopée d'Oghuz, dans les sources de la période seldjoukide, il est dit que les Turcs suivaient un loup divin qui apparaissait à l'horizon ; lorsque le loup disparaissait, ils pensaient que la volonté divine leur indiquait cet endroit où rester (Ögel, 1988 : 4). En ce sens, le loup se voyait attribuer un rôle divin au-delà de son existence visible. Il peut s'agir de la croyance que le loup guide en tant que messager de Dieu, ou d'une interprétation intuitive pour faire face à la situation chaotique de l'inconnu. Lorsque le motif du loup, construit dans l'imagination divine, est absolutisé, cela signifie que la volonté d'aide et de faveur de Dieu est conçue avec un certain degré de certitude dans un être sensible.
Le signe du « Loup Gris » est un symbole puissant représentant la turcité des peuples, leur honneur et leur amour de la patrie à travers les millénaires. Il exprime également le désir de réunification des peuples turcs en une seule entité. Par exemple, le signe du Loup Gris était utilisé par les Khans Turcs comme symbole de victoire.
Les peuples Turcs comme les Huns, les Kipchaks et les Petchénègues, qui ont migré vers l'ouest, l'utilisaient également pour exprimer leur identité Turque et indiquer leur ascendance. Dans certaines œuvres, datant du VIème siècle, et retrouvées en Chine, on trouve des statues et des sculptures de Khan Turc faisant le signe du loup gris.
Le premier empire ayant le nom turc, les Gokturk, créé en 552, avait le symbole du loup dans son drapeau. Selon l'histoire chinoise, le loup, qui était le symbole de l'État "au sommet des brigades et des drapeaux" (Ögel, 2014 : 144), n'était pas le loup du ciel qui guidait les Göktürks, mais "une tête de loup dorée sur les têtes de leurs brigades".
La signification du loup s'est déplacée vers une "direction plus réaliste" et a perdu son ancien rôle divin. Cependant, le loup n'a jamais perdu son importance symbolique (Dikici, 2005 : 358). L'épopée d'Ergenekon, qui raconte la sortie des Gokturks d'Ergenekon, où ils s'étaient réfugiés après avoir été vaincus par l'ennemi, est devenue plus tard le sujet d'un rituel du jour de la vie qui a été re-pratiqué avec le fer et le marteau sur l'enclume comme une cérémonie commémorative. À la sortie d'Ergenekon, le roi göktürk Börteçine a accepté "le symbole national de ses ancêtres, le drapeau de Gökbay à tête de loup, comme symbole national" ; le Dieu-loup dans le rôle du sauveur a été remplacé par le roi sauveur. En tant que symbole, bozkurt n'est plus l'entité biologique "börü" (loup), mais le titre d'un puissant souverain (Ünal, 1994 : 49).
Bozdemir, (2018, December) écrit que “Depuis la haute Antiquité le loup est un symbole récurrent dans la culture turque. La première image attestée du loup chez les Turcs remonte au vie siècle de notre ère. Il s’agit d’une louve allaitant un être humain (un enfant ?) représentée sur la stèle funéraire de Bugut, découverte en 1956 dans la province d’Arkhangai en Mongolie (l’inscription de Bugut, datée de 584, est le texte de très loin le plus ancien1 connu émanant des Turcs). “.
Lors de l’indépendance de la Turquie, une grande importance lors de la création de la République de Turquie en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk, qui a accordé une importance particulière à ce symbole très significatif pour la nation.
Assurément, Kemal Atatürk a fait usage du loup gris dans la construction de la nation turque". Dans le processus de consolidation de l'identité turque, le symbole du bozkurt s'est imposé comme un symbole important de l'approche turque laïque de la nouvelle République comme le montre l’image ci-après:
Mustafa Kemal Atatürk est le sauveur et l'ancêtre qui guide le monde toujours plus restreint de l'existence turque, le Bozkurt incarné dans les épopées turques (Ayvazoğlu, 2002 :
542-543). Les révolutions d'Atatürk dans la projection de l'idéologie turque signifiaient la construction d'une nouvelle conscience de la turcité. Les dimensions séculières et transcendantales des nouveaux concepts mis en avant, tels que la reproduction de la culture du loup gris, la popularisation des "symboles païens" de l'époque asiatique préislamique (Özdoğan, 2015 : 86), comme le montre l'image ci-après:
En somme, la littérature ne peut nullement contredire que le Loup est le symbole national de la Turquie et l'emblème originel des grands peuples turciques, apparaissant sur les billets, les symboles nationaux et les gestes de la main.
Après la chute de l'URSS, le signe du Loup a pris encore plus d'importance à travers le monde turcique, avec l'émergence de nouvelles républiques Turc indépendantes : Azerbaïdjan, Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan et Kirghizistan.
Kaya (2012) écrit par exemple que les monuments de Bozkurt et de Bayterek peuvent citer pour le Kazakhstan, qui se base sur la mythologie kazakhe.
Almaty, Kazakhstan
Au Kazakhstan, par exemple, il y a le Monument du Loup gris dans la ville d'Astana, la capitale du Kazakhstan. Les Karapapaks, peuples Turc vivant dans le Caucase, utilisaient de même le loup sur le drapeau.
La Gagaouzie, région autonome de Moldavie, est habitée par un peuple turc et chrétien, les Gagaouzes, où le symbole du loup est fièrement affiché. D’ailleurs, le drapeau officiel de la République de Gagaouzie est le loup et les habitants Gagaouzes, Turcs Chrétiens, font le signe pour symbole national.
Drapeau Gagaouze
La dernière image montre Irina Vlah, gouverneuse de la région de Gagaouzie, portant des boucles d'oreilles représentant le loup.
Enfin, le symbole du loup gris n’appartient à aucun parti étant donné que même l’ancien président du parti de l’opposition de centre-gauche, connu pour être très proche des minorités en Turquie, le CHP, Kemal Kılıçdaroğlu l’a fait.
KAYNAK
Balcı, E., & Özkul, O. (2021). TÜRKLERDE BOZKURT SEMBOLÜNE YÜKLENEN ANLAMIN KUTSALLIK BAĞLAMINDA DÖNÜŞÜMÜ. Yorum Yönetim Yöntem Uluslararası Yönetim Ekonomi ve Felsefe Dergisi, 9(1), 37-48.t.
Bozdemir, M. (2018, December). Le mythe du loup dans le monde turc. In Mythes d'origines dans les civilisations de l'Asie (Vol. 1).
ÇETİN, Y., & KIZILKAYA, Ö. TÜRK TARİHİNDE VE KÜLTÜRÜNDE BOZKURT BELİRTKESİ (SEMBOLÜ).
Charlier, B. (2013). Le loup mongol: Pratiques et représentations. Nomadismes d’Asie centrale et septentrionale, 221-23.
Deliorman, A. (2009). Türk Kültüründe Bozkurt. 1. Basım. İstanbul: Bayrak Basım/Yayım/Tanıtım.
Kaya, A. (2012). SSCB sonrasi coğrafyada ulus inşa süreci: Kazakistan örneği. Alternatif Politika, 4(3), 354-378.
Ögel, B. (1988). Türkler’de Semavi Kurtlar. Türk Dünyası Tarih Dergisi. C.3, Sayı:13, 2-7.
Ögel, B. (1998). Türk Mitolojisi Kaynakları ve Açıklamaları ile Destanlar. Cilt 1. 3. Basım. Ankara: Atatürk Kültür, Dil ve Tarih Yüksek Kurumu Türk Tarih Kurumu Yayınları Ögel, B. (2014). Türk Mitolojisi (Kaynakları ve Açıklamaları ile Destanlar). Cilt II. 5. Basım. Ankara: Atatürk Kültür, Dil ve Tarih Yüksek Kurumu Türk Tarih Kurumu Yayınları
Özdoğan, G. G. (2015). “Turan”dan “Bozkurt”a Tek Parti Döneminde Türkçülük (1931-1946). 4. Basım. İstanbul: İletişim Yayınları
Ünal, T. (1994). Türklüğün Sembolü Bozkurt. İstanbul: Hamle Basın Yayın
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