L’hydrogène couplé à la capture du carbone, solution miraculeuse ou aveuglement aberrant ?
Derya Soysal, PhD researcher on hydrogen (Université libre de Bruxelles)
Nomenclature
TEN : technologies d’émissions négatives
CCS : Carbon Capture and Storage
GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
DACC : Direct Air Carbon Capture
GES : Gaz à effet de serre
CO2 : Dioxyde de carbone
CH4 : Méthane
SMR : Steam Methane Reforming
Face au réchauffement climatique, les gouvernements et scientifiques s’orientent vers des solutions tant technologiques que politiques pour atténuer ses effets. Le GIEC tente de même d'imaginer des scénarios pour atteindre l'objectif de limiter le réchauffement climatique à +1,5°C par rapport à la période préindustrielle. L'un de ces scénarios accorde de l'importance aux technologies à émissions négatives (TEN) et à l’hydrogène. Les TEN consistent à capturer le carbone et à le stocker sous terre ou dans les océans. La technologie de capture du carbone (CCS) et le déploiement de l’hydrogène sont complexes à bien des égards : les avis divergent sur la faisabilité de la technologie, sa capacité de séquestration, sa facilité de déploiement, ainsi que sa sécurité et sa stabilité à long terme. Il est donc intéressant de savoir si le duo Hydrogène (H2) et la capture du carbone (CCS) sont une solution miraculeuse ou d'un aveuglement aberrant.
Si le monde doit atteindre des émissions nettes nulles, l'hydrogène jouera un rôle essentiel, selon le rapport historique du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) sur l'atténuation du changement climatique, qui a été signé par les 193 gouvernements aux Nations unies en avril 2022. Cet énorme document, rédigé par 83 scientifiques du monde entier, établit essentiellement une vaste feuille de route sur la manière dont le monde peut se décarboniser. L'attention des médias mondiaux s'est concentrée sur les points de vue du rapport concernant les combustibles fossiles, le captage direct du carbone dans l'air (DACC) et la nécessité de plafonner les émissions d'ici 2050. Mais dans ses 2 913 pages, le GIEC explique également comment le monde devrait utiliser l'hydrogène propre - et les rôles qu'il devrait jouer dans le chauffage, les transports, l'industrie lourde et le stockage de l'énergie - ainsi que les défis importants auxquels sa production et son utilisation sont confrontées (rechargenews.com). Avant tout de chose, il serait important de s’informer sur l’hydrogène et la manière dont on l’obtient.
La littérature académique nous informe que l’ «hydrogène peut être utilisé comme moyen de stockage des énergies renouvelables pour équilibrer l'ensemble des systèmes énergétiques et contribuer à la décarbonisation du système énergétique, en particulier dans les secteurs de l'industrie et des transports » (Ajanovic, A. et al. 2022). Il y a différentes manières de produire de l'hydrogène en fonction des sources d'énergie primaires utilisées. Comme l'électricité, l'hydrogène est un vecteur d'énergie secondaire, mais c'est aussi un vecteur d'énergie, qui peut être utilisé pour convertir, stocker et libérer de l'énergie. Avec l'augmentation de la production d'électricité à partir de sources renouvelables variables telles que l'éolien et le photovoltaïque, l'hydrogène devient une option intéressante pour le stockage à long terme de l'électricité excédentaire.
Pour différencier les différents modes de production d'hydrogène en fonction des sources d'énergie primaires, des couleurs différentes sont utilisées. La production d'hydrogène qui repose sur des combustibles fossiles sans CCS est nommée de l'hydrogène gris. La littérature scientifique fait des classifications plus variées. Certaines sources préfèrent dire l’hydrogène produit par la gazéification du charbon est de l'hydrogène brun et de l'hydrogène noir lorsque du charbon noir est utilisé. La figure ci-dessous reprend ces différentes appellations.
Figure 1 T. Droege (2021) What are the colors of hydrogen? Williams Companies ; Available from:
https://www.williams.com/2021/04/23/what-are-the-colors-of-hydrogen/
Comme il a été vu plus haut, la plupart de l’hydrogène produit dans le monde est d’origine fossile et donc émetteur de carbone. Il existe toutefois une solution technologique pour réduire cette empreinte carbone : la capture du CO2. Assurément, il y a un intérêt grandissant envers l’hydrogène bleu. L'hydrogène bleu est l'hydrogène produit par reformage du méthane à la vapeur avec une capture du CO2. Selon Newborough et Cooley (2020), il suffit à une installation de production d'hydrogène d'installer un dispositif CCS pour être comptabilisée comme hydrogène bleu. La quantité certaine qui doit être capturée n'a pas été définie. Lorsqu'ils sont appliqués au procédé SMR (Steam Methane Reforming, Reformage à la vapeur), des taux de captage allant jusqu'à 90 %, y compris le captage du CO2 postcombustion (sans 70 %), sont possibles.
Actuellement, l'hydrogène bleu ainsi que l’hydrogène vert sont considérés comme une technologie de solution pour atteindre la transition énergétique dans nombreux articles académiques. En conséquence, l'Union européenne a largement subventionné les projets de démonstration de capture du carbone ajoutés aux centrales électriques fossiles (Ajanovic, A. et al. 2022). Le CO2 est capté par des méthodes d'absorption chimique (à base d'amines) sur des solvants à haute température à base de carbonate de potassium.
Figure 2 Production d’hydrogène bleu couplé à la capture du carbone Amin, A. M., Croiset, E., & Epling, W. (2011). Review of methane catalytic cracking for hydrogen production. International Journal of Hydrogen Energy, 36(4), 2904-2935.
Avant de s’emballer dans des visions technosolutionnistes, il faudrait faire un rappel de certains faits. Aujourd’hui, 95% de la production de l’hydrogène est d’origine fossile (Capurso, T., et al. 2022). De plus, la production d’hydrogène bleu a un coût énorme lié à la capture du carbone. Bauer, C. et al. (2022) ajoutent que le terme "hydrogène bleu" en tant que tel ne peut être pris comme synonyme d'hydrogène "à faible teneur en carbone" que si l'approvisionnement en gaz naturel est associé à de faibles émissions de GES, ce qui signifie que les fuites de gaz naturel et les émissions de méthane tout au long de la chaîne d'approvisionnement, y compris l'extraction, le stockage et le transport, doivent être réduites au minimum. De surcroît, Oni, A. O., et al. (2022) met en lumière les coûts liés au transport allant de 1 à 17 $/t CO2[1]. Les coûts de stockage varient, quant à eux, de 1 à 22 $/t CO2 en fonction de la zone de stockage (gisements de pétrole et de gaz épuisés ou aquifères salins profonds).
Figure 3 CC0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=96621219
Débattre de l’hydrogène, de la capture du CO2 reflète-t-il nécessairement une conséquence du solutionnisme technologique accordant une grande confiance aux technologies ? La vision solutionnisme technologique est une notion développée par Morozov (Morozov, 2014). Gilli (2019) définit la notion de solutionnisme technologique comme "la croyance que les problèmes peuvent être résolus simplement et rapidement grâce aux nouvelles technologies." Le réchauffement climatique confronte souvent les experts impliqués à des dilemmes, des difficultés, etc. Les rapports soulignent l'urgence, pourtant les chiffres des émissions de GES continuent d'augmenter. Face à cela, il est difficile de trouver une solution pour faire face au réchauffement climatique. La question de savoir si l’hydrogène et la capture du carbone sont un moyen utile et probable d'atténuer le réchauffement climatique n'est pas seulement un débat physique et technologique. Le débat est plus philosophique : Allons-nous vraiment jouer les apprentis sorciers du climat ? Pouvons-nous nier le fait que sans l’hydrogène la capture du carbone, la géo-ingénierie, les objectifs climatiques de 1,5°C sont difficilement réalisables ? C'est le dilemme auquel les experts concernés doivent faire face.
REFERENCES :
Ajanovic, A., Sayer, M., & Haas, R. (2022). The economics and the environmental benignity of different colors of hydrogen. International Journal of Hydrogen Energy.
Bauer, C., Treyer, K., Antonini, C., Bergerson, J., Gazzani, M., Gencer, E., ... & Van der Spek, M. (2022). On the climate impacts of blue hydrogen production. Sustainable Energy & Fuels, 6(1), 66-75.
Capurso, T., Stefanizzi, M., Torresi, M., & Camporeale, S. M. (2022). Perspective of the role of hydrogen in the 21st century energy transition. Energy Conversion and Management, 251, 114898.
Gilli, Y (2019) Solutionnisme technologique, mais quels avantages?. Bulletin des médecins suisses, 100(10), 323-323.
Katebah, M., & Linke, P. (2022). Analysis of hydrogen production costs in Steam-Methane Reforming considering integration with electrolysis and CO2 capture. Cleaner Engineering and Technology, 10, 100552.
Morozov, E (2014) Pour tout résoudre, cliquez ici: l'aberration du solutionnisme technologique. Fyp.
Newborough, M., & Cooley, G. (2020). Developments in the global hydrogen market: The spectrum of hydrogen colours. Fuel Cells Bulletin, 2020(11), 16-22.
Oni, A. O., Anaya, K., Giwa, T., Di Lullo, G., & Kumar, A. (2022). Comparative assessment of blue hydrogen from steam methane reforming, autothermal reforming, and natural gas decomposition technologies for natural gas-producing regions. Energy Conversion and Management, 254, 115245.
[1] le coût le plus bas étant celui des transferts par pipeline sur de courtes distances (180 km), et le plus élevé celui du transport par bateau (500 km).
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